Google Wallet intègre la blockchain : vers un monopole sur l’identité numérique ?

Un virage blockchain pour Google Wallet

Google franchit un nouveau cap dans la gestion des identités numériques. Son service Google Wallet, historiquement cantonné au stockage de cartes bancaires ou de titres de transport, prend une tournure bien plus stratégique. L’entreprise californienne y introduit désormais des identifiants numériques certifiés via des réseaux blockchain. En clair, Google permet de stocker des documents officiels – permis de conduire, cartes d’identité, diplômes – dans son portefeuille numérique… tout en s’appuyant sur des standards d’identités décentralisées (DID), un concept clé du Web3.

Mais attention : derrière l’apparence “décentralisée” du système, c’est bien Google qui reste au cœur de la chaîne. L’utilisateur contrôle ses informations, certes, mais l’interface, les conditions d’usage et l’intégration aux services Google placent la firme en position de guichet unique. Une centralisation bien masquée.

Des identifiants numériques auto-souverains… sous contrôle

Le standard utilisé, baptisé Verifiable Credential (VC), est déjà promu par le W3C (le consortium international qui définit les standards du web). Il permet à n’importe quelle entité – université, État, entreprise – d’émettre un certificat numérique vérifiable cryptographiquement. L’utilisateur le conserve dans son wallet (ici, Google Wallet), et peut le présenter à un tiers sans que ce dernier n’ait besoin de contacter l’émetteur initial.

En théorie, ce modèle place l’utilisateur au centre. C’est le principe de “l’identité auto-souveraine” : l’individu détient et gère lui-même ses preuves d’identité, sans dépendre en temps réel d’un fournisseur centralisé. Mais dans la pratique, les “holders” (détenteurs) passent toujours par l’interface de Google pour stocker et présenter ces identifiants. Google choisit les réseaux blockchain compatibles, les standards supportés, les formats acceptés. Autrement dit, la souveraineté reste encadrée.

Polygon et les blockchains compatibles

Google Wallet s’appuie actuellement sur la blockchain Polygon pour certains de ses cas d’usage. Ce choix n’est pas anodin : Polygon, très populaire pour ses faibles coûts de transaction et sa compatibilité avec Ethereum, est déjà utilisé par des institutions et entreprises pour des projets d’identité numérique.

Par exemple, l’Inde a expérimenté Polygon pour la certification de diplômes universitaires. Google Wallet pourrait s’ouvrir à des usages similaires. Mais en imposant une architecture définie, Google fait le tri dans l’écosystème blockchain. Ce qui soulève la question : une infrastructure “ouverte” reste-t-elle ouverte lorsqu’un géant comme Google en devient le point d’entrée principal ?

Google, vérificateur d’identité global ?

Derrière ce mouvement, Google anticipe une transformation profonde : l’identité numérique va devenir un élément central de la vie en ligne, notamment dans les interactions administratives, les services bancaires, ou les accès sécurisés. En contrôlant les outils de présentation et de vérification de ces identifiants, la firme se positionne en future autorité de confiance.

Elle ne sera pas seule : Apple a déjà commencé à intégrer des documents d’identité dans Apple Wallet dans certains États américains. Microsoft de son côté pousse aussi des solutions d’identité décentralisée via Azure et Entra Verified ID. Mais la force de Google réside dans son écosystème intégré : Android, Chrome, Gmail, Google Pay… chaque point d’entrée devient une opportunité pour faire adopter son wallet.

Des enjeux géopolitiques et de souveraineté

Le développement de ces solutions n’est pas anodin à l’échelle géopolitique. Plusieurs États veulent garder la main sur les systèmes d’identité numérique. L’Union européenne pousse ainsi l’EUDI Wallet, un portefeuille d’identité numérique conçu pour garantir l’autonomie des citoyens européens. En Chine, c’est l’État qui impose ses propres outils.

Dans ce contexte, l’initiative de Google apparaît comme une tentative de prise d’avance. En proposant une solution clé-en-main, simple à intégrer pour les gouvernements et institutions, l’entreprise pourrait devenir le standard de facto. Ce qui pose des questions fondamentales sur la souveraineté numérique, la vie privée et la concentration des pouvoirs technologiques.

La blockchain : un vernis de décentralisation ?

Certes, les standards utilisés sont ceux du Web3. Oui, les identifiants sont signés cryptographiquement. Et non, Google ne peut pas modifier unilatéralement une preuve émise par une entité tierce. Mais dans la chaîne de confiance, Google reste incontournable : c’est lui qui fournit l’interface, valide les formats, impose les conditions d’accès aux APIs.

Dès lors, peut-on vraiment parler de décentralisation ? Ou assiste-t-on plutôt à une centralisation “compatibilisée blockchain” – une forme d’intégration hybride où la technologie décentralisée est récupérée par les acteurs dominants pour servir leurs propres intérêts ?

Vers un monde où l’identité passe par Big Tech

Le danger n’est pas tant la technologie utilisée que la structure du pouvoir qui l’encadre. Si l’ensemble des interactions numériques – accès à un site, signature d’un contrat, preuve de diplôme, achat en ligne – passent demain par Google Wallet ou un équivalent Apple/Microsoft, alors la promesse de l’identité décentralisée aura été trahie.

À ce stade, les alternatives existent : des solutions open source comme Trinsic, Dock ou les projets soutenus par la Fondation Linux proposent des alternatives plus réellement distribuées. Mais sans adoption massive ou soutien institutionnel, ces outils restent marginaux.

Une normalisation en marche

La stratégie de Google n’est pas isolée. En travaillant avec le W3C et les consortiums de standardisation, l’entreprise veille à ce que ses solutions soient compatibles avec les futurs règlements internationaux. En apparaissant comme “interopérable”, elle s’assure aussi de rester incontournable.

Ainsi, Google s’impose doucement comme un fournisseur d’identité – comme Facebook l’a été à l’ère du “login social” (le bouton “Se connecter avec Facebook”). Mais cette fois, les enjeux sont autrement plus sensibles. Il ne s’agit plus d’accéder à un compte, mais de prouver qui l’on est.

Source : cryptoast.fr

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